Extrait de Ouija

Extrait du chapitre "Le portail"

A noter : pour des raisons de facilité de lecture, j’ai ajouté des marqueurs indiquant un changement de page. 

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Mathieu sentit une nausée le saisir et il se hâta de rejoindre les toilettes les plus proches pour vomir bruyamment. Il avait le sentiment d’éprouver les symptômes d’une femme enceinte ! C’était du moins ce que lui avait dit sa mère, lorsqu’il lui avait parlé de ses nausées matinales. Cette dernière, tout en se moquant gentiment, lui avait conseillé d’aller consulter un médecin. Mathieu avait obéi, mais le médecin n’avait rien trouvé d’inhabituel et il lui avait prescrit de simples médicaments.

Après deux visites chez le médecin et une prise de sang sans amélioration de son état, Mathieu avait pris rendez-vous pour un scanner, mais il en avait pour plusieurs mois d’attente avant de pouvoir espérer une réponse à ses questions. Il devrait vivre avec ses nausées pendant tout ce temps… Le jeune homme se frotta rapidement les dents avec l’index et il but un peu d’eau pour essayer de faire passer le goût immonde de sa régurgitation. Quand il se sentit un peu moins fébrile, il quitta les toilettes et il bâilla en s’étirant. Lorsqu’il ouvrit à nouveau les yeux, il mit quelques longues secondes avant de reconnaître les lieux : il se trouvait dans le bâtiment des élèves, affalé sur un canapé moisi, une bière à la main.

Mathieu cligna des yeux, observant sa bière avec incompréhension. À côté de lui se trouvaient deux de ses amis, dont Brice.

– Euh… bafouilla Mathieu. Qu’est-ce que je fais là ?

– Comment ça ? s’étonna Brice, qui paraissait encore plus torturé que d’ordinaire. Tu as trop bu !

– Non mais vraiment, qu’est-ce que je fais ici ? insista Mathieu, déboussolé.

Brice et Thomas échangèrent un regard avant d’éclater de rire. Thomas était un garçon agréable et au physique commun : des cheveux châtains, des yeux marron, un sourire taquin… Il faisait partie de leurs meilleurs amis, mais il n’avait pas pu être présent à leur soirée spiritisme.

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– Décidément, tu as trop bu ! s’esclaffa Thomas. C’est toi qui nous as proposé d’aller boire un coup en fin de journée et ça fait bien deux heures qu’on est là !

– Deux heures ? répéta Mathieu, en levant les yeux vers l’unique fenêtre de la pièce.

La nuit était presque tombée… Le jeune homme écarquilla les yeux et il posa doucement sa bière. Comment avait-il pu oublier sa journée entière ? Que s’était-il passé ?

– Mais… Mais j’étais en cours, aujourd’hui ?

– Tu es sûr que ça va ? s’inquiéta Brice. Bien sûr que tu étais en cours !

Mathieu sentit soudain ses poumons se bloquer sous l’angoisse. Il cherchait à respirer, mais en vain. Il ouvrait la bouche, mais l’air refusait d’entrer et la panique lui faisait battre des bras inutilement. Brice et Thomas se levèrent pour attraper Mathieu. Thomas l’obligea à s’allonger sur le dos.

– On dirait une crise d’asthme, analysa le jeune homme. Mon frère en fait de temps en temps. Mat’, écoute-moi et prends le temps de te calmer, d’accord ? Respire doucement !

Mathieu obéit, se forçant au calme. Son souffle lui revint peu à peu, à son grand soulagement. Tout ceci n’expliquait pas son trou de mémoire… Ça lui arrivait d’en avoir de temps en temps depuis qu’il avait ses nausées, mais jamais pendant une période aussi longue ! Au pire il manquait un cours, ce qui ne le dérangeait pas outre mesure. Mais une journée entière… Ce n’était pas normal ! Il allait devoir retourner chez le médecin au plus vite.

***

Lise conduisit Ambre et son père jusqu’à la partie du bâtiment réservée aux garçons. Les filles n’y étaient pas interdites, mais fortement déconseillées. En général, quand une fille entrait du côté des garçons, c’était soit avec d’autres filles pour assister à une soirée mixte privée, soit accompagnée par son petit ami pour une soirée encore plus privée.

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Comme le trio que formaient Gabriel, Lise et Ambre ne correspondait pas aux critères habituels, la plupart des étudiants qu’ils croisèrent leur jetèrent des regards intrigués. Ambre se sentait mal à l’aise, mais Lise et Gabriel avançaient comme si les regards des autres ne les concernaient pas.

Gabriel ne posait aucune question à sa fille sur ce qu’elle devenait, sur ses études et encore moins sur la mort de sa meilleure amie. Lise ne semblait pas vouloir prendre des nouvelles de son père non plus, si bien qu’Ambre trouvait une nouvelle fois ce silence entre eux malaisant. Peut-être aurait-elle mieux fait de faire son après-midi jeux de société avec Léo et les autres…

Une petite poussée de sa dragonne la fit grommeler intérieurement. Elles étaient trop gentilles, l’une comme l’autre. Et puis, le fantôme de Jade continuait à apparaître par moment, se rappelant au bon souvenir de la jeune médium. La défunte ne semblait pas reconnaître Lise, mais Ambre avait déjà entendu parler de ce phénomène sur les esprits récents : leurs souvenirs restaient si confus qu’ils en oubliaient parfois qui ils étaient vraiment.

– C’est là, annonça Lise, en poussant la porte d’un couloir. Sixième porte à gauche.

– Heureusement que ce n’est pas la neuvième porte ! s’esclaffa Ambre.

Lise et Gabriel lui jetèrent un regard intrigué, même si le regard du détective semblait un peu moins bienveillant que celui de Lise. Ambre rougit légèrement et elle secoua la main pour leur faire signe de continuer. Ils n’avaient sans doute pas la même culture cinématographique. Ou alors ils connaissaient le film, mais la plaisanterie était tombée à l’eau sous la gravité actuelle de la situation. Ambre préférait opter pour la première solution, elle était moins vexante.

Lise s’arrêta devant la porte de Brice et elle frappa. Un samedi soir… Était-il seulement dans sa chambre ? Peut-être était-il dans le bâtiment des élèves avec Mathieu. La jeune femme frappa à nouveau, mais aucune réponse ne lui parvint.

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– Il doit être sorti, déclara-t-elle.

– Tu devrais lui envoyer un message, suggéra Ambre.

– Et avec quel réseau ? soupira Lise, en montrant son téléphone dont les barres de connexion restaient vides.

– On peut se passer de son autorisation pour entrer, décida Gabriel, qui se penchait déjà sur la serrure.

Lise blêmit et elle jeta un coup d’œil dans le couloir. Son père n’était vraiment pas subtil ! Ambre, toute aussi mal à l’aise, l’imita avec appréhension, alors que Gabriel sortait un nécessaire de crochetage tout neuf. Le détective n’était pas très habitué à cet équipement et il grogna à plusieurs reprises en sentant qu’il ne parvenait pas à crocheter la serrure, pourtant basique.

– Quelqu’un arrive ! avertit Ambre.

Gabriel se redressa vivement, les outils encore coincés dans la serrure. Lise fit un pas en avant en reconnaissant la silhouette.

– Mickaël ? reconnut-elle, intriguée. Mais qu’est-ce que tu fais là ?

– Ah, salut Lise ! Ma chambre est juste à côté. C’est plutôt moi qui devrais te poser la question, non ?

Mickaël adressa à la jeune femme un sourire taquin et un léger clin d’œil. Le jeune homme arborait des cheveux noirs mi-longs, avec de petits yeux verts sur un visage bienveillant. Une courte barbe entretenue décorait son menton, tout autant que le pendentif en forme d’ange qu’il portait au cou. De carrure un peu passe-partout, il paraissait avoir quelques muscles plus développés sur les bras et les épaules. Il portait un jean bleu foncé, un T-shirt de science-fiction humoristique à fond noir et une surchemise ouverte de couleur bleu nuit. En chaussons, il tenait dans ses bras un panier de linge plutôt encombrant.

– Qui c’est, celui-là ? grommela Gabriel. Brice ?

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– Elle vient de l’appeler Mickaël, rappela doucement Ambre.

– Alors non, je ne suis pas Brice, mais vous êtes bien devant sa porte. Lise, tu pourrais m’expliquer un peu, s’il te plaît ?

Lise laissa son regard suivre celui de son camarade, qui s’arrêta sur les outils de crochetage bien en évidence dans la serrure.

– Euh… bafouilla-t-elle. En fait on venait voir Brice, mais il n’a pas l’air d’être là. C’est un peu compliqué à expliquer. Tu veux bien faire comme si tu n’avais rien vu ?

Mickaël jeta un coup d’œil à Lise avant de revenir sur la porte. Il hocha la tête avant de poursuivre son chemin pour s’arrêter devant la porte suivante. Il entra dans sa chambre et il disparut à leurs regards.

– C’était qui, lui ? questionna son père. Un ami à toi ?

– Exactement ! rétorqua Lise. Un camarade de classe et un ami du club de jeu de rôle. Il est super sympa, il ne nous dénoncera pas.

– Tant mieux.

Gabriel se pencha à nouveau sur la serrure, maugréant sur les mauvais outils qu’il avait achetés. Ambre et Lise le regardaient faire, impatientes l’une comme l’autre.

– Besoin d’aide, peut-être ?

Les trois intrus sursautèrent et se retournèrent. Mickaël, tout sourire, s’était visiblement contenté de poser son panier de linge avant de revenir vers eux. Personne ne l’avait entendu arriver malgré le carrelage…

– Ça ira, merci, congédia Gabriel. Sauf si tu veux aller nous chercher le fameux Brice, pour aller plus vite !

– J’ai un peu plus rapide, suggéra Mickaël.

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Il tendit la main vers la poignée et il la poussa vers le bas. La porte s’ouvrit dans un léger grincement, à la surprise des trois fraudeurs. Mickaël, fier de son coup, haussa les épaules.

– La plupart des garçons ici ne ferment jamais leur porte à clé. Ils se font confiance et, surtout, ça évite d’avoir à emmener ses clés aux soirées. Ce serait un coup à les perdre.

Gabriel cacha difficilement son agacement et il poussa un peu sèchement le jeune homme pour se faufiler dans la chambre de Brice. Ambre adressa un regard d’excuses à Mickaël, comme si le comportement de Gabriel était de sa faute, et elle emboîta le pas au détective. Mickaël se tourna vers Lise.

– C’est ton père, c’est ça ?

– Mouais, approuva Lise, en croisant les bras. Comment tu le sais ?

– Tu m’avais parlé de lui une fois. Et puis… Il y a une vague ressemblance.

Lise lui jeta un regard noir et Mickaël leva les deux mains en signe de reddition. Il savait parfaitement que le père de Lise était un sujet sensible pour son amie. Il voulait lui poser des questions, mais il préféra s’abstenir : Lise ne paraissait pas d’humeur à y répondre. Il pouvait faire quelques déductions par lui-même : Lise n’aurait jamais appelé son père si elle n’avait pas eu besoin de lui. Elle ne ménageait pas ses mots lorsqu’elle parlait de son géniteur insensible et elle mettait en danger son avenir à l’université en se promenant avec des personnes extérieures au campus. Qui plus est, elle n’avait pas empêché son père de forcer la porte de la chambre d’un de ses camarades.

Gabriel et Ambre, à l’intérieur de la chambre, observaient les lieux d’un air inquiet. Ils n’avaient pas besoin de parler pour sentir l’un comme l’autre l’atmosphère pesante qui y régnait. Ambre se sentait si mal à l’aise qu’elle fut prise de haut-le-cœur.

– Interdiction de vomir dans cette chambre ! ordonna Gabriel, en pointant un doigt menaçant sur elle. Tu savais très bien que ce ne serait pas une partie de plaisir alors ne fais pas de conneries !

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Ambre hocha la tête, tentant de créer une bulle de protection autour d’elle, comme de celles qu’elle créait d’ordinaire en utilisant la flamme d’une bougie. Tant qu’elle maintiendrait sa concentration, cette bulle la protègerait un minimum des agressions éthériques et des ondes néfastes qu’elle ressentait dans la pièce.

– Bien, il faut trouver la planche, suggéra Gabriel. C’est la première étape.

Ambre frissonna en voyant autour du lit des entités informes tournoyer, telle une nuée d’insectes. Des ombres, des traits de lumière, des esprits torturés… Elle avait presque l’impression d’entendre des cris qui venaient vibrer jusque dans les tréfonds de son être.

Là, sur la table de nuit, une créature que son esprit n’arrivait pas à identifier les observait. Si Ambre ne parvenait pas à lui donner une forme, elle savait en revanche qu’il y avait une forte énergie malveillante sur cette entité. Et elle n’était pas la seule…

Sur le bureau, deux autres les observaient également, tendant d’étranges griffes dans leur direction. Une autre, derrière la fenêtre, les dévisageait avec de grands yeux écarquillés. Quelques fées avaient également réussi à passer, mais elles n’avaient laissé qu’une légère trace scintillante derrière elles avant de partir. Les élèves risquaient d’avoir une épidémie de perte de clés prochainement, ce n’était pas bien dangereux. Contrairement à ces choses qu’Ambre ne parvenait pas à identifier.

Une de ces créatures tendit une griffe vers Gabriel, mais elle sembla se heurter à un mur invisible et elle couina de frustration plus que de douleur. Certaines de ces entités se mirent également à tester les défenses du détective, en vain. Les autres se tournèrent vers Ambre, qui frémit. Quelques secondes plus tard, toutes les entités présentes la dévisageaient.